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Vous qui aimez à chercher dans l’âme des artistes les causes des qualités de leurs ouvrages, vous partagerez peut-être mon idée sur Haydn. On ne peut lui refuser sans doute une imagination vaste, pleine de vigueur, créatrice au suprême degré ; mais peut-être ne fut-il pas aussi bien partagé du côté de la sensibilité ; et sans ce malheur-là plus de chant, plus d’amour, plus de musique théâtrale. Cette hilarité naturelle, cette joie caractéristique dont je vous ai parlé, ne permirent jamais à une certaine tristesse tendre d’approcher de cette âme heureuse et calme. Or, pour faire comme pour entendre de la musique dramatique, il faut pouvoir dire, avec la belle Jessica :

I am never merry when I hear sweet music.

The Merchanf of Venice, acte V, sc. i.

Il faut être tendre et un peu triste pour trouver du plaisir même aux Cantatrice villane[1], ou aux Nemici generosi[2] ; c’est tout simple : si vous êtes gai, votre imagination n’a que faire d’être distraite des images qui l’occupent.

Autre raison. Pour dominer l’âme des spectateurs, l’imagination de Haydn a besoin d’agir en souveraine ; dès qu’elle

  1. Chef-d’œuvre de Fioravanti, très goûté à Paris.
  2. Opéra très comique de l’excellent Cimarosa.