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queue si fine, qu’il les appelait, avec assez de justice, ses pieds de mouches.

Après toutes ces précautions mécaniques, Haydn commençait son travail par écrire son idée principale, son thème, et par choisir les tons dans lesquels il voulait le faire passer. Son âme sensible lui avait donné une connaissance profonde du plus ou moins d’effet que produit un ton en succédant à un autre[1]. Haydn imaginait ensuite une espèce de petit roman qui pût lui fournir des sentiments et des couleurs musicales.

Quelquefois il se figurait qu’un de ses amis, père d’une nombreuse famille et mal partagé des biens de la fortune, s’embarquait pour l’Amérique, espérant y changer son sort.

Les principaux événements du voyage formaient la symphonie. Elle commençait par le départ. Un vent favorable agitait doucement les flots, le navire sortait heureusement du port, pendant que, sur le rivage, la famille du voyageur le suivait des yeux en pleurant, et que ses amis lui

  1. Exemple trivial. Touchez le piano en C sol fa ut, mineur, faites la cadence ; sautez ensuite au G sol re ut, vous trouverez que ce saut ne déplaît pas. Mais si, au lieu de sauter au G sol re ut, vous passez du C sol fa ut mineur à l’E la fa, vous verrez combien cette succession de sons est plus sonore, plus majestueuse et plus agréable que la première. On trouverait facilement mille exemples plus compliqués : Mozart et Haydn en sont remplis.