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mais quelquefois aussi, après m’avoir fait boire de son vin de Tokay, il me corrigeait par cinq ou six phrases pleines de sens et de chaleur, partant de l’âme et montrant sa théorie : je me hâtais de les noter en sortant de chez lui. C’est ainsi qu’en faisant à peu près le métier d’un agent de M. de Sartine, je suis parvenu à connaître les opinions du maître.

Qui le croirait ? Ce grand homme, dont nos pauvres diables de musiciens savants et sans génie veulent se faire un bouclier, répétait sans cesse : « Ayez un beau chant, et votre composition, quelle qu’elle soit, sera belle, et plaira certainement. »

« C’est l’âme de la musique, continuait-il, c’est la vie, l’esprit, l’essence d’une composition : sans elle Tartini peut trouver les accords les plus rares et les plus savants, mais vous n’entendez qu’un bruit bien travaillé, lequel, s’il ne déplaît pas à l’oreille, laisse du moins la tête vide et le cœur froid. »

Un jour que je combattais, avec plus de déraison qu’à l’ordinaire, ces oracles de l’art, le bon Haydn alla me chercher un petit journal barbouillé qu’il avait fait pendant son séjour à Londres. Il m’y fit voir qu’étant allé un jour à Saint-Paul, il y entendit chanter à l’unisson une