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d’un crime. L’amour de l’armée pour Pichegru avait été affaibli par sa longue absence et entièrement détruit par le crime que l’opinion publique ne pardonne jamais en France : la liaison ouverte avec les ennemis de la patrie. Le conseil de guerre le plus impartial aurait indubitablement condamné à mort le général Pichegru, comme traître lié avec les ennemis de la France, ou comme conspirateur contre le gouvernement établi, ou enfin comme déporté rentré sur le territoire de la République. Mais, dit-on, Pichegru avait été mis à la question, on lui avait serré les pouces dans des chiens de fusil, et Napoléon craignait la révélation de cette atrocité. J’observe que cette pratique atroce de donner la question n’est abolie en France que depuis la Révolution et que la plupart des rois de l’Europe en font encore usage dans les complots contre leur personne. Enfin, il vaut mieux courir la chance d’être accusé d’une cruauté que d’un assassinat, et il était facile de jeter celle-ci sur le compte d’un subalterne qu’on eût puni. On pouvait faire condamner Pichegru à mort par un jugement qui parût juste à la nation et commuer sa peine en une prison perpétuelle. Il faut remarquer que l’espoir d’obtenir des révélations par le supplice de la question n’est pas calculé pour