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avait peu d’idées littéraires, voilà ce qui aura fait illusion au duc de Lodi, homme fort instruit en littérature et, par conséquent, un peu faible.

La balle qui me tuera portera mon nom, était une de ses phrases habituelles. J’avoue que je ne la comprends pas. Tout ce que j’y vois c’est une première nuance de ce fatalisme si naturel aux hommes exposés tous les jours aux boulets ou à la mer.

Cette âme si forte était liée à un petit corps pâle, maigre et presque chétif. L’activité de cet homme et sa force à soutenir les fatigues avec un physique si mince paraissaient à son armée sortir des bornes du possible. Ce fut un des fondements de l’incroyable enthousiasme qu’il inspirait au soldat[1].

  1. On trouve dans le carton R. 292 de la bibliothèque de Grenoble cette curieuse note sur les portraits de Napoléon Bonaparte :

    « Presque tous ceux que j’ai vus de lui sont des caricatures. Beaucoup de peintres lui ont donné les yeux inspirés d’un poète. Ces yeux-là ne vont pas avec l’étonnante capacité d’attention qui est le caractère de son génie. Il me semble que ces yeux expriment un homme qui vient de perdre ses idées ou un homme qui vient d’avoir la vue d’une image sublime. Sa figure était belle, quelquefois sublime, mais c’était parce qu’elle était tranquille. Ses yeux seuls avaient des mouvements rapides et beaucoup de vivacité. Il souriait souvent, ne riait jamais. Je l’ai vu une seule fois transporté de plaisir : ce fut après avoir entendu Crescentini chanter l’air : Ombra adorata aspetia. Les moins mauvais portraits sont de Robert Lefèvre et de Chaudet : les plus mauvais de David et de Canova. »