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jusqu’à la rage, s’il n’avait eu la conscience de sa force. Il fallait voir comme les renards de cour avaient bien senti cette nuance de caractère du maître. Les rapports de ses ministres sont curieux sous ce point de vue. En phrases incidentes, ou, pour mieux dire, en adjectifs et en adverbes, il y a tout l’esprit de conduite de la plus minutieuse et de la plus lâche tyrannie. On n’osait pas encore hasarder cela dans le sens direct de la phrase. Une épithète insolente montrait au maître le cœur de son ministre. Encore quelques années et ses chers auditeurs lui donnaient une génération de ministres qui, n’ayant pas pris l’expérience des grandes affaires sous la République, n’auraient plus rougi que de n’être pas assez courtisans. Quand on voit les conséquences de ceci, on en vient presque à se réjouir de la chute de Napoléon.

On voit encore mieux le combat du génie du grand homme contre le cœur du tyran dans son règne des Cent Jours. Il appelle Benjamin Constant et Sismondi ; il les écoute avec plaisir en apparence, mais bientôt il revient avec passion aux lâches conseils de Regnault de Saint-Jean d’Angély et du duc de Bassano. Et de tels hommes montrent combien la tyrannie l’avait déjà corrompu. Du temps de Marengo il les eût repoussés avec mépris.