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l’insolence de la garde, pour qui étaient toutes les préférences[1], et qui, depuis longtemps, ne se battait plus, étant la réserve éternelle de l’armée, aliénaient bien des cœurs à Napoléon. La bravoure n’était diminuée en rien (il est impossible que le soldat d’un peuple vaniteux ne se fasse pas tuer mille fois pour être le plus brave de la compagnie), mais le soldat, n’ayant plus de subordination, manquait de prudence et détruisait ses forces physiques avec lesquelles seules le courage pouvait tomber.

Un colonel de mes amis me racontait, en allant en Russie, que, depuis trois ans, il avait vu passer 36.000 hommes dans son régiment. Chaque année, il y avait moins d’instruction, moins de discipline, moins de patience, moins d’exactitude dans l’obéissance. Quelques maréchaux, comme Davout et Suchet, soutenaient encore leurs corps d’armée. La plupart semblaient se mettre à la tête du désordre. L’armée ne savait plus faire masse. De là les avantages que les Cosaques, de misérables paysans mal armés, étaient destinés à remporter sur la plus brave armée de l’univers. J’ai vu vingt-deux Cosaques,

  1. Ordre du jour à Moscou vers le 10 octobre pour les sous-officiers et soldats qui ne se sentaient pas la force de faire dix lieues par jour.