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pas le préparer à paraître à la tête de la nation, que plus elle était fière, plus elle devait vouloir que son chef fût honoré. Louis XIV, qui s’entendait en vanité n’eût pas commis cette faute.

Tout l’argent qu’on avait rapporté de Prusse, environ cent millions, ne paraissait pas devoir suffire à la guerre d’Espagne. Napoléon, accoutumé à nourrir la guerre par la guerre, ne s’accoutumait pas à porter son argent en Espagne. Il voulait que Joseph payât la guerre ; l’Espagne y aurait suffi à peine en temps de paix. C’était le dernier degré de l’absurde, au moment où les troupes françaises n’étaient exactement maîtresses que du terrain qu’elles occupaient militairement et qu’elles épuisaient à fond.

Mais il y avait plus : à peine Napoléon fut-il en Espagne, qu’il se mit à la regarder, et, l’ayant trouvée belle, il en voulut un morceau. Rien de plus contraire aux actes de Bayonne. Ce génie mobile et ardent, satisfait pour un instant au moment de la création, apercevait sans cesse de nouveaux rapports dans les affaires. L’idée du jour dévorait celle de la veille et, se sentant la force de détruire tous les obstacles, rien n’était immuable pour un esprit devant lequel le terme des possibles s’éloignait, comme l’horizon devant le