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gaspillées, étaient dans le dernier désordre ; et comment les rétablir chez une nation où le travail est déshonoré ? Le peuple avait senti de lui-même, dans les provinces les plus éclairées, qu’il fallait changer de roi et il avait tourné les yeux vers l’archiduc Charles[1]. Heureuses les Espagnes si elles eussent suivi cette idée ! Elles goûteraient maintenant le bonheur que donne toujours une administration sage et honnête et une politique extérieure qui n’a rien de romanesque. Qu’il y a loin de son état à celui des sujets de la maison d’Autriche !

Joseph partageait l’erreur de son frère ; il ne méprisait pas assez la canaille humaine. Il croyait que donner aux Espagnols l’égalité et toute la liberté qu’ils pouvaient concevoir, c’était s’en faire des amis. Loin de là, les Espagnols furent piqués de ce que les 80.000 hommes qu’on fit pénétrer en Espagne n’étaient pas des troupes d’élite ; ils virent là une marque de mépris. Dès lors, tout fut perdu. Comment prendre, en effet, un peuple ignorant, fanatique, sobre au milieu de l’abondance, tirant de ses privations autant de vanité que les autres en tirent de leur jouissance ? L’Espagnol n’est pas cupide, même cette source d’activité lui manque ; il est thé-

  1. Moniteur du 22 juin 1808.