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VIE DE HENRI BRULARD

plus jolies de la ville, que je ne me souviens pas d’avoir jamais vue, car alors on était brouillé, mais on me l’a fait comprendre plus tard d’une singulière façon. Mon excellent grand-père, à cause de sa perruque, m’a toujours semblé avoir quatre-vingts ans. Il avait des vapeurs (comme moi misérable), des rhumatismes, marchait avec peine, mais par principe ne montait jamais en voiture et ne mettait jamais son chapeau : un petit chapeau triangulaire à mettre sous le bras* et qui faisait ma joie quand je pouvais l’accrocher pour le mettre sur ma tête, ce qui était considéré par toute la famille comme un manque de respect ; et enfin, par respect, je cessai de m’occuper du chapeau triangulaire et de la petite canne à pomme en racine de buis bordée d’écaille. Mon grand-père adorait la correspondance apocryphe d’Hippocrate, qu’il lisait en latin (quoiqu’il sût un peu de grec), et l’Horace de l’édition de Johannes Bond, imprimée en caractères horriblement menus. Il me communiqua ces deux passions et en réalité presque tous ses goûts, mais pas comme il l’aurait voulu, ainsi que je l’expliquerai plus tard.

Si jamais je retourne à Grenoble, il faut que je fasse rechercher les extraits de naissance et de décès de cet excellent homme, qui m’adorait et n’aimait point son fils, M. [Romain] Gagnon, père de M. Oronce Gagnon, chef d’escadron de Dragons qui a tué son homme en duel il y a trois ans, ce dont