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introduction

plique cet état d’esprit dans une longue note ajoutée à l’un des cahiers du manuscrit[1] :

« Pourquoi Rome m’est pesante.

« C’est que je n’ai pas une société, le soir, pour me distraire de mes idées du matin. Quand je faisais un ouvrage à Paris, je travaillais jusqu’à étourdissement et impossibilité de marcher. Six heures sonnant, il fallait pourtant aller dîner… J’allais dans un salon ; là, à moins qu’il ne fût bien piètre, j’étais absolument distrait de mon travail du matin, au point d’en avoir oublié même le sujet en rentrant chez moi, à une heure.

« Voilà ce qui me manque à Rome : la société est si languissante !…

« Tout cela ne peut me distraire de mes idées du matin, de façon que, quand je reprends mon travail, le lendemain, au lieu d’être frais et délassé, je suis abîmé, éreinté, et, après quatre ou cinq jours de cette vie, je me dégoûte de mon travail, j’en ai réellement usé les idées en y pensant trop continuement. Je fais un voyage de quinze jours à Cività-Yecchia ou à Ravenne (1835, octobre) ; cet intervalle est trop long, j’ai oublié mon travail. Voilà pourquoi le Chasseur vert[2] languit, voilà ce qui, avec le manque total de bonne musique, me déplaît dans Rome. »

  1. R 300, fol. 69 v° et 70 v°.
  2. Le Chasseur vert devint Lucien Lewven, publié pour la première fois, en 1894, par M. Jean de Mitty.