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Morgan. J’avais oublié cette belle qualité qui m’a fait tant d’ennemis. Ce n’était peut-être que l’apparence de la qualité, et les ennemis sont des êtres trop communs pour juger du brillant, par exemple, comment un comte d’Argout peut-il juger du brillant ? Un homme dont le bonheur est de lire deux ou trois volumes de romans in-12, pour femme de chambre, par jour ! Comment M. de Lamartine jugerait-il de l’esprit ? D’abord il n’en a pas et, en second lieu, il dévore aussi deux volumes par jour des plus plats ouvrages (Vu à Florence en 1824 ou 1826).

Le grand drawback (inconvénient) d’avoir de l’esprit, c’est qu’il faut avoir l’œil fixé sur les demi-sots qui vous entourent, et se pénétrer de leur plates sensations. J’ai le défaut de m’attacher au moins impuissant d’imagination et de devenir inintelligible pour les autres qui peut-être n’en sont que plus contents.

Depuis que je suis à Rome, je n’ai pas d’esprit une fois la semaine et encore pendant cinq minutes, j’aime mieux rêver. Ces gens-ci ne comprennent pas assez les finesses de la langue française pour sentir les finesses de mes observations ; il leur faut du gros esprit de commis-voyageur, comme Mélodrame qui les enchante (exemple : Michel-Ange Caetani) et est