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au moyen des cent cinquante francs par mois que mon père me donnait. Je supposais qu’après lui j’aurais le double ou deux fois le double ; avec l’ardeur de savoir qui me brûlait alors, c’était beaucoup trop.

Je ne suis pas devenu colonel, comme je l’aurais été avec la puissante protection de M. le comte Daru, mon cousin, mais j’ai été, je crois, bien plus heureux. Je ne songeai bientôt plus à étudier M. de Turenne et à l’imiter, cette idée avait été mon but fixe pendant les trois ans que je fus dragon. Quelquefois elle était combattue par cette autre : faire des comédies comme Molière et vivre avec une actrice. J’avais déjà alors un dégoût mortel pour les femmes honnêtes et l’hypocrisie qui leur est indispensable. Ma paresse énorme l’emporta ; une fois à Paris je passais des six mois entiers sans faire de visites à ma famille (MM. Daru, Mme Le Brun, M. et Mme de Baure), je me disais toujours demain ; je passai deux ans ainsi, dans un cinquième étage de la rue d’Angiviller, avec une belle vue sur la colonnade du Louvre, et lisant La Bruyère, Montaigne et J.-J. Rousseau, dont bientôt l’emphase m’offensa. Là se forma mon caractère. Je lisais beaucoup aussi les tragédies d’Alfieri, m’efforçant d’y trouver du