Page:Stendhal - Vie de Henri Brulard, I, 1927, éd. Martineau.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est-ce avoir du talent ? Je vois les plus mauvais peintres voir très bien les défauts les uns des autres : M. Ingres a toute raison contre M. Gros, et M. Gros contre M. Ingres. (Je choisis ceux dont on parlera peut-être encore en 1935.)

Voici le raisonnement qui m’a rassuré à l’égard de ces Mémoires. Supposons que je continue ce manuscrit et qu’une fois écrit je ne le brûle pas ; je le léguerai non à un ami qui pourrait devenir dévot ou vendu à un parti, comme ce jean-sucre de Thomas Moore, je le léguerai à un libraire, par exemple à M. Levavasseur (Place Vendôme, Paris.)

Voilà donc un libraire qui après moi reçoit un gros volume relié de cette détestable écriture. Il en fera copier quelque peu, et lira, si la chose lui semble ennuyeuse, si personne ne parle plus de M. de Stendhal, il laissera là le fatras, qui sera peut-être retrouvé deux cents ans plus tard comme les mémoires de Benvenuto Cellini.

S’il imprime et que la chose semble ennuyeuse, on en parlera au bout de trente ans comme aujourd’hui l’on parle du poème de la Navigation de cet espion d’Esménard, dont il était si souvent question aux déjeuners de M. Daru en 1802. Et encore cet espion était, ce me semble, censeur ou