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S’il y a un autre monde, je ne manquerai pas d’aller voir Montesquieu, s’il me dit : « Mon pauvre ami, vous n’avez pas eu de talent du tout », j’en serais fâché mais nullement surpris. Je sens cela souvent, quel œil peut se voir soi-même ? Il n’y a pas trois ans que j’ai trouvé ce pourquoi.

Je vois clairement que beaucoup d’écrivains qui jouissent d’une grande renommée sont détestables. Ce qui serait un blasphème à dire aujourd’hui de M. de Chateaubriand (sorte de Balzac) sera un truism en 1880. Je n’ai jamais varié sur ce Balzac, en paraissant vers 1803 le Génie du Christianisme m’a semblé ridicule. Crozet fut séduit. Mais sentir les défauts d’un autre,

    deux jours après le Premier Consul. A son arrivée à Milan, M. Daru, son cousin, alors inspecteur aux revues de l’armée, le fit entrer comme maréchal des logis, et bientôt sous-lieutenant, dans le 6e de Dragons, dont M. Le Baron, son ami, était colonel. Dans son régiment B., qui avait 150 francs de pension par mois et qui se disait riche, il avait 17 ans, fut envié et pas trop bien reçu ; il eut cependant un beau certificat du Conseil d’administration. Un an après, il fut aide de camp du brave lieutenant-général Michaud, fit la campagne du Mincio contre le général Bellegarde, jugea la sottise du général Brune et fit des garnisons charmantes à Brescia et Bergame. Obligé de quitter le général Michaud, car il fallait être au moins lieutenant pour remplir les fonctions d’aide de camp, il rejoignit le 6e de Dragons à Alba et Savigliano, fièrement, fit une maladie mortelle à Saluces…
    Ennuyé de ses camarades, culottes de peau, B. vint à Grenoble, devint amoureux de Mlle Victorine M. ; et, profitant de la petite paix, donna sa démission et alla à Paris, où il passa des ans dans la solitude, croyant ne faire que s’amuser en lisant les Lettres Persanes, Montaigne, Cabanis, Tracy, et dans le fait finissant son éducation.