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cet homme, qui ne se mouchait pas sans songer à ménager quelque vanité qui pouvait influer à mille lieues de distance sur sa nomination à l’Académie, était ultra libéral. Cela nous lia d’abord, mais bientôt sa femme, bourgeoise à laquelle je ne parlais jamais que par force, me trouva imprudent.

Un jour, M. de Tracy et M. Thurot me demandèrent ma politique, je me les aliénai tous deux par ma réponse :

« Dès que je serais au pouvoir, je réimprimerais les livres des émigrés déclarant que Napoléon a usurpé un pouvoir qu’il n’avait pas en les rayant. Les trois quarts sont morts, je les exilerais dans les départements des Pyrénées et deux ou trois voisins. Je ferai cerner ces quatre ou cinq départements par deux ou trois petites armées, qui, pour l’effet moral, bivouaqueraient, au moins six mois de l’année. Tout émigré qui sortirait de là serait impitoyablement fusillé.

« Leurs biens rendus par Napoléon, vendus en morceaux, non supérieurs à deux arpents. Les émigrés jouiraient de pensions de mille, deux mille et trois mille francs par an. Ils pourraient choisir un séjour dans les pays étrangers. Mais s’ils couraient le monde pour intriguer, plus de pardon. »