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Mme de Praslin), ce profond raisonneur a changé ses trois cent mille livres de rente en trente, tout au plus.

Sa mère, femme d’un rare bon sens, était tout à fait de la cour ; aussi, à vingt-deux ans, ce fils fut colonel et colonel d’un régiment où il trouva parmi les capitaines un Tracy, son cousin, apparemment aussi noble que lui, et auquel il ne vint jamais dans l’idée d’être choqué de voir cette petite poupée de vingt-deux ans venir commander le régiment où il servait.

Cette poupée qui, me disait plus tard Mme de Tracy, avait des mouvements si admirables, cachait cependant un fond de bon sens. Cette mère, femme rare, ayant appris qu’il y avait un philosophe à Strasbourg (et remarquez, c’était en 1780, peut-être, non pas un philosophe comme Voltaire, Diderot, Raynal) ayant appris, dis-je, qu’il y avait à Strasbourg un philosophe qui analysait les pensées de l’homme, images ou signes de tout ce qu’il a vu, de tout ce qu’il a senti, comprit que la science de remuer ces images, si son fils l’apprenait, lui donnerait une bonne tête.

Figurez-vous quelle tête devait avoir en 1785 un fort joli jeune homme, fort noble, tout à fait de la cour, avec trois cent mille livres de rente.