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verain plaisir serait de me changer en un long Allemand blond et de me promener ainsi dans Paris.

Je viens de voir, en feuilletant, que j’en étais à M. de Tracy. Ce vieillard si bien fait, toujours vêtu de noir, avec son immense pardessus vert, se tenant devant sa cheminée tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre, avait une manière de parler qui était l’antipode de ses écrits. Sa conversation était toute en aperçus fins, élégants ; il avait horreur d’un mot énergique comme d’un jurement, et il écrit comme un maire de campagne. La simplicité énergique qu’il me semble que j’avais dans ce temps-là ne dut guère lui convenir. J’avais d’énormes favoris noirs dont Mme Doligny ne me fit honte qu’un an plus tard. Cette tête de boucher italien ne parut pas trop convenir à l’ancien colonel du règne de Louis XVI.

M. de Tracy, fils d’une veuve, est né vers 1765 avec trois cent mille francs de rente. Son hôtel était rue de Tracy, près la rue Saint-Martin.

Il fit le négociant sans le savoir, comme une foule de gens riches de 1780. M. de Tracy fit sa rue et y perdit 2 ou 300.000 fr. et ainsi de suite. De façon que je crois bien qu’aujourd’hui cet homme (si aimable quand, vers 1790, il était l’amant de