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chemises, de mes accidents d’amour-propre. D’un autre côté, je me trouve loin de la France[1], j’ai lu tous les livres amusants qui ont pénétré en ce pays. Toute la disposition de mon cœur était d’écrire un livre d’imagination sur une intrigue d’amour arrivée à Dresde, en août 1813, dans une maison voisine de la mienne, mais les petits devoirs de ma place m’interrompent assez souvent, ou, pour mieux dire, je ne puis jamais en prenant mon papier être sûr de passer une heure sans être interrompu. Cette petite contrariété éteint net l’imagination chez moi. Quand je reprends ma fiction, je suis dégoûté de ce que je pensais. À quoi un homme sage répondra qu’il faut se vaincre soi-même. Je répliquerai : il est trop tard, j’ai 49 ans ; après tant d’aventures, il est temps de songer à achever la vie le moins mal possible.

Ma principale objection n’était pas la vanité qu’il y a à écrire sa vie. Un livre sur un tel sujet est comme tous les autres ; on l’oublie bien vite, s’il est ennuyeux. Je craignais de déflorer les moments heureux que j’ai rencontrés, en les décrivant, en les anatomisant. Or, c’est ce que je ne ferai point, je sauterai le bonheur.

  1. Il était alors consul de France dans les États romains et résidait à Civita-Vecchia et Rome.