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pour l’école polytechnique en novembre 1799 me prit à part pour me donner deux louis que je refusai, ce qui lui fit plaisir sans doute, car il avait toujours deux ou trois appartements en ville et peu d’argent. Après quoi prenant un air paterne qui m’attendrit car il avait des yeux admirables, de ces grands yeux qui louchent un peu à la moindre émotion :

— Mon ami, me dit-il, tu te crois une bonne tête, tu es rempli d’un orgueil insupportable à cause de tes succès dans les écoles de mathématiques, mais tout cela n’est rien. On n’avance dans le monde que par les femmes. Or tu es laid, mais on ne te reprochera jamais ta laideur parce que tu as de la physionomie. Tes maîtresses te quitteront ; or, rappelle-toi ceci : dans le moment où l’on est quitté rien de plus facile que d’accrocher un ridicule. Après quoi un homme n’est plus bon à donner aux chiens aux yeux des autres femmes du pays. Dans les vingt-quatre heures où l’on t’aura quitté, fais une déclaration à une femme ; faute de mieux, fais une déclaration à une femme de chambre.

Sur quoi il m’embrassa et je montai dans le courrier de Lyon. Heureux si je me fusse souvenu des avis de ce grand tacticien ! Que de succès manqués ! Que