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nier. Un vieil et très mauvais acteur que j’ai connu, l’ennuyeux et royaliste Naudet, fut si choqué du génie innovateur du jeune Talma, qu’il le provoqua plusieurs fois en duel. Je ne sais, en vérité, où Talma avait pris l’idée et le courage d’innover, je l’ai connu bien au-dessous de cela.

Malgré sa grosse voix factice et l’affectation presque aussi ennuyeuse de ses poignets disloqués, l’être en France qui avait de la disposition à être ému par les beaux sentiments tragiques du troisième acte de l’Hamlet de Ducis ou les belles scènes des derniers actes d’Andromaque n’avait d’autre ressource que de voir Talma.

Il avait l’âme tragique et à un point étonnant. S’il y eût joint un caractère simple et le courage de demander conseil, il eût pu aller bien loin, par exemple, être aussi sublime que Monvel dans Auguste (Cinna). Je parle ici de toutes choses que j’ai vues et bien vues ou du moins fort en détail, ayant été amateur passionné du Théâtre-Français.

Heureusement pour Talma, avant qu’un écrivain, homme d’esprit et parlant souvent au public (M. l’abbé Geoffroy), s’amusât à vouloir détruire sa réputation, il avait été dans les convenances de Mme  de Staël de le porter aux nues. Cette femme élo-