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sont, je crois, le peuple du monde le plus obtus, le plus barbare. Cela est au point que je leur pardonne les infamies de Sainte-Hélène.

Ils ne les sentaient pas. Certainement, en le voyant, un Italien, un Allemand même, se serait figuré le martyre de Napoléon. Ces honnêtes Anglais, sans cesse côtoyés par l’abîme du danger de mourir de faim s’ils oublient un instant de travailler, chassaient l’idée de Sainte-Hélène, comme ils chassent l’idée de Raphaël, comme propre à leur faire perdre du temps, et voilà tout.

À nous trois : moi pour la rêverie et la connaissance de Say et de Smith (Adam), le baron de Lussinge pour le mauvais côté à voir en tout, Barot pour le travail (qui change une livre d’acier valant douze francs en trois quarts de livres de ressorts de montres, valant dix mille francs), nous formions un voyageur assez complet.

Quand je fus seul, l’honnêteté de la famille anglaise qui a dix mille francs de rente se battit dans mon cœur avec la démoralisation complète de l’Anglais, qui, ayant des goûts chers, s’est aperçu que pour les satisfaire, il faut se vendre au gouvernement. Le Philippe de Ségur anglais est pour moi, à la fois, l’être le plus vil et le plus absurde à écouter.