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cert de madame Catalani ; j’ai été pendant quelques minutes immobile d’admiration : c’est la plus belle tête que j’aie vue de ma vie, lady Fanny Har***. Raphaël, ubi es ? Aucun de nos pauvres peintres modernes, tout chargés de titres et de cordons, ne serait capable de peindre cette tête ; ils y voudraient placer l’imitation de l’antique ou le style, comme on dit à Paris, c’est-à-dire donner l’expression de la force et du calme à une figure qui est touchante précisément à cause de l’absence de la force. C’est par l’effet de l’air facile à émouvoir et l’expression naïve de la grâce la plus douce que quelques figures modernes sont tellement supérieures à l’antique. Mais nos peintres ne pourraient pas même comprendre ce raisonnement. Que nous serions heureux de pouvoir en revenir au siècle des Ghirlandajo et des Giorgion (1490) ! Nos artistes alors seraient au moins en état de copier la nature comme au miroir ; et que ne donnerait-on pas d’un miroir où l’on verrait constamment les traits de lady Fanny H*** telle qu’elle était ce soir !

8 octobre. — Je ne sais pourquoi l’extrême beauté m’avait jeté hier soir dans les idées métaphysiques. Quel dommage que le beau idéal, dans la forme des têtes, ne soit venu à la mode que depuis Raphaël ! La sensibilité brûlante de ce grand homme aurait su le marier à la nature. L’esprit à pointes de nos artistes gens du monde est à mille lieues de cette tâche. Du moins, s’ils daignaient s’abaisser quelquefois à copier strictement la nature, sans y rien ajouter de roide, fût-il emprunté du grec, ils seraient sublimes sans le savoir. Filippo Lippi, ou le frère Ange de Fiesole, quand le hasard leur faisait rencontrer une tête angélique comme celle de lady Fanny H***, la copiaient exactement. C’est ce qui rend si attachante l’étude des peintres de la seconde moitié du quinzième siècle. Je conçois que M. Cornelius et les autres peintres allemands de Rome les aient pris pour modèles. Qui ne préférerait Ghirlandajo à Girodet?

20 octobre. — Si je ne pars pas d’ici dans trois jours, je ne ferai pas mon voyage d’Italie, non que je sois retenu par aucune aventure galante, mais je commence à avoir quatre ou cinq loges où je suis reçu comme si l’on m’y voyait depuis dix ans. L’on ne se dérange plus pour moi, et la conversation continue