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ginquo reverentia, dès ce temps-là Bonaparte ne voulait pas habiter les villes et se prodiguer. Leinate, jardin rempli d’architecture, appartenant à M. le duc Litta, m’a plu. Ce courtisan de Napoléon n’a point fait la girouette depuis 1814 ; il a bravé courageusement les Tedeschi. Notez que Napoléon l’avait fait grand chambellan sans qu’il le demandât. M. le duc Litta a fait un livre, tiré à un exemplaire, qu’il a le projet de brûler avant sa mort. Il a, dit-on, sept à huit cent mille livres de rente. J’ai vu de loin, dans une allée de Leinate, la femme de son neveu le duchino ; c’est une des douze plus jolies femmes de Milan. Je lui trouve l’air dédaigneux des anciens portraits espagnols. Il faut bien se garder de se promener seul à Leinate ; ce jardin est plein de jets d’eau destinés à mouiller les spectateurs. En posant le pied sur la première marche d’un escalier, six jets d’eau me sont partis entre les jambes.

C’est en Italie que les architectes de Louis XIV prirent le goût des jardins comme Versailles et les Tuileries, où l’architecture est mêlée aux arbres.

Au Gernietto, villa du fameux dévot Mellerio, il y a des statues de Canova. J’ai revu Dèsio, simple jardin anglais, au nord de Milan, et qui me semble l’emporter sur tous les autres. On voit de près les montagnes et le Rezegon di Lek (la Scie de Lecco). L’air y est plus sain et plus vif qu’à Milan. Napoléon avait ordonné que les rizières et les prés marciti (arrosés constamment, on les fauche huit fois par an) seraient éloignés à cinq milles de Milan. Mais il avait accordé un délai aux propriétaires pour le changement de culture. Comme on trouve un avantage immense à cultiver le riz, les propriétaires ont graissé la patte à la police, et au couchant de Milan, vers la porte Vercellina, j’ai vu des rizières à une portée de canon de la ville. Quant aux voleurs, on les rencontre à une portée de fusil presque chaque soir. La police est comme celle de Paris, elle ne songe qu’à la politique, et du reste fait tondre barbarement les arbres plantés par Napoléon, pour avoir le bénéfice des fagots.

Mais enfin, comme les espions eux-mêmes ont le goût italien, cette police a forcé les citoyens à faire des choses prodigieuses pour l’embellissement de la ville. Par exemple, l’on peut passer