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à moi-même. Je copie un certain valet poltron, dont mon imagination m’a procuré la vue les premières fois que j’ai joué mon rôle. Quand je parais en scène maintenant, j’ai du plaisir à être en valet poltron. Si je regardais dans la salle, je m’ennuierais à périr ; je crois même que je manquerais de mémoire. D’ailleurs, j’ai si peu de voix : si je n’étais pas bon acteur, que serais-je ? » — Pour une belle voix, comme pour la fraîcheur des attraits chez les femmes, il faut un cœur froid.

Par une disposition instinctive, que j’ai bien observée ce soir sur le baron allemand Kenisfeld, ces êtres, tout âme, choquent les personnes de la très-haute société qui manquent un peu d’esprit : il leur faut des talents appris ; ils trouvent de l’excès dans tout ce qui est inspiré. Hier, ce baron pointilleux grondait le garçon du restaurateur parce qu’il n’avait pas écrit correctement son noble nom sur sa carte.

3 octobre. — L’orchestre de Milan, admirable dans les choses douces, manque de brio dans les morceaux de force. Les instruments attaquent timidement la note.

L’orchestre de Favart a le défaut contraire. Il cherche toujours à embarrasser le chanteur et à faire le plus de bruit possible. Dans un orchestre parfait, les violons seraient français, les instruments à vent allemands, et le reste italien, y compris le chef d’orchestre.

Celle place, si essentielle au chant, est occupée à Milan par le célèbre Alessandro Rolla, que la police a fait prier de ne plus jouer de l’alto ; il donnait des attaques de nerfs aux femmes.

On pourrait dire à un Français arrivant dans ce pays : Cimarosa est le Molière des compositeurs, et Mozart le Corneille ; Mayer, Vinter, etc., sont des Marmontel. La grâce innocente de la prose de la Fontaine, dans les Amours de Psyché, est reproduite par Paisiello.

4 octobre. — J’ai visité aujourd’hui les fresques si touchantes de Luini à Saronno, la chartreuse de Carignano, avec les peintures à fresques de Daniel Crespi, fort bon peintre qui avait vu les Carrache et senti le Corrége. J’ai vu Castelazzo. J’ai été fort mécontent d’un château de Montebello, célèbre par le séjour que Bonaparte y fit en 1797. D’après le principe major è lon-