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leur, une vie dramatique, une fermeté dans tous les effets, qui décidément ne sont pas du style de Mozart. Mais Solliva est un jeune homme ; transporté d’admiration pour Mozart, il a pris sa couleur. Si l’auteur à la mode eût été Cimarosa, il eût semblé un nouveau Cimarosa.

Dugazon me disait, à Paris, que tous les jeunes gens qui se présentaient chez lui pour apprendre à déclamer étaient de petits Talma. Il fallait six mois pour leur faire dépouiller le grand acteur et voir s’ils avaient quelque chose en propre.

Le Tintoret est le premier des peintres pour la vivacité d’action de ses personnages. Solliva est excellent pour la vie dramatique. Il y a peu de chant dans son ouvrage ; l’air de Bonoldi, au premier acte, ne vaut rien ; Solliva triomphe dans les morceaux d’ensemble et dans les récitatifs obligés, peignant le caractère. Aucune parole ne peut rendre l’entrée de Galli, disputant avec son ministre, au premier acte. Les yeux éblouis de tant de luxe, les oreilles frappées de ces sons si mâles et si bien dans la nature, attachent tout de suite l’âme au spectacle : c’est là le sublime. Les meilleures tragédies sont bien froides auprès de cela. Solliva, comme le Corrége, connaît le prix de l’espace ; sa musique ne languit pas deux secondes, il syncope tout ce que l’oreille prévoit ; il serre, il entasse les idées. Cela est beau comme les plus vives symphonies de Haydn.

1er octobre. — J’apprends que la Testa di bronzo est un de nos mélodrames. Méprisé à Paris, la musique en a fait un chef-d’œuvre à Milan ; elle a donné de la délicatesse et de la profondeur aux sentiments. « Mais pourquoi, disais-je à M. Porta, aucun poëte italien n’invente-t-il les canevas chargés de situations frappantes qu’il faut pour la musique ? — Penser, ici, est un péril écrire, le comble de l’inconséquence. Voyez la brise charmante et voluptueuse qui règne dans l’atmosphère, aujourd’hui 1er octobre ; voulez-vous qu’on s’expose à se faire exiler dans les neiges de Munich ou de Berlin, parmi les gens tristes, qui ne songent qu’à leurs cordons et à leurs seize quartiers ? Notre climat est notre trésor. » L’Italie n’aura de littérature qu’après les deux chambres ; jusque-là, tout ce que l’on y fait n’est que de la fausse culture,