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l’habit de houzard le plus brillant, blanc, rouge et or ; son premier ministre est couvert de velours noir, n’ayant d’autre ornement brillant que la plaque de son ordre ; la pupille du prince, la charmante Fabre, est en pelisse bleu-de-ciel et argent, son shako garni d’une plume blanche. La grandeur et la richesse respirent sur ce théâtre : on y voit à tous moments au moins cent chanteurs ou figurants, tous vêtus comme le sont en France les premiers rôles. Pour l’un des derniers ballets, l’on a fait cent quatre-vingt-cinq habits de velours ou de satin. Les dépenses sont énormes. Le théâtre de la Scala est le salon de la ville. Il n’y a de société que là ; pas une maison ouverte. Nous nous reverrons à la Scala, se dit-on pour tous les genres d’affaires. Le premier aspect est enivrant. Je suis tout transporté en écrivant ceci.

26 septembre. — J’ai retrouvé l’été ; c’est le moment le plus touchant de cette belle Italie. J’éprouve comme une sorte d’ivresse. Je suis allé à Dèsio, jardin anglais délicieux, à dix milles au nord de Milan, au pied des Alpes.

Je sors de la Scala. Ma foi ! mon admiration ne tombe point. J’appelle la Scala le premier théâtre du monde, parce que c’est celui qui fait avoir le plus de plaisir par la musique. Il n’y a pas une lampe dans la salle ; elle n’est éclairée que par la lumière réfléchie par les décorations. Impossible même d’imaginer rien de plus grand, de plus magnifique, de plus imposant, de plus neuf, que tout ce qui est architecture. Il y a eu ce soir onze changements de décorations. Me voilà condamné à un dégoût éternel pour nos théâtres : c’est le véritable inconvénient d’un voyage en Italie.

Je paye un sequin par soirée pour une loge aux troisièmes, que j’ai promis de garder tout le temps de mon séjour. Malgré le manque absolu de lumière, je distingue fort bien les gens qui entrent au parterre. On se salue à travers le théâtre d’une loge à l’autre. Je suis présenté dans sept ou huit ; je trouve cinq ou six personnes dans chacune de ces loges, et la conversation établie comme dans un salon. Il y a des manières pleines de naturel et une gaieté douce, surtout pas de gravité.

Le degré de ravissement où notre âme est portée est l’unique