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rempli d’ambassadeurs et de cordons de toutes les couleurs : la tête tournerait à moins. Le roi est vraiment un galant homme. Hier, dimanche, madame Catalani, qui est fort dévote, s’est rendue à la chapelle de la cour, où elle s’est emparée sans façon de la fort petite tribune destinée aux filles de Sa Majesté. Un chambellan, terrifié de sa hardiesse, et qui est venu l’avertir de sa méprise, a été repoussé avec perte. Honorée de l’amitié de plusieurs souverains, elle croyait, disait-elle, avoir droit à cette place, etc. Le roi Maximilien a pris la chose en homme qui a été vingt ans colonel au service de la France. Dans beaucoup d’autres cours de ce pays, terrible pour l’étiquette, cette folie pouvait fort bien faire conduire madame Catalani au violon.

MILAN.

24 septembre. — J’arrive, à sept heures du soir, harassé de fatigue ; je cours à la Scala. — Mon voyage est payé. Mes organes épuisés n’étaient plus susceptibles de plaisir. Tout ce que l’imagination la plus orientale peut rêver de plus singulier, de plus frappant, de plus riche en beautés d’architecture, tout ce que l’on peut se représenter en draperies brillantes, en personnages qui non-seulement ont les habits, mais la physionomie, mais les gestes des pays où se passe l’action, je l’ai vu ce soir.

25 septembre. — Je cours à ce premier théâtre du monde : l’on donnait encore la Testa di bronzo. J’ai eu tout le temps d’admirer. La scène se passe en Hongrie ; jamais prince hongrois ne fut plus fier, plus brusque, plus généreux, plus militaire que Galli. C’est un des meilleurs acteurs que j’aie rencontrés ; c’est la plus belle voix de basse que j’aie jamais entendue : elle fait retentir jusqu’aux corridors de cet immense théâtre[1].

Quelle science du coloris dans la manière dont les habillements sont distribués ! J’ai vu les plus beaux tableaux de Paul Véronèse. À côté de Galli, prince hongrois, en costume national,

  1. Il n’est guère probable que ce qu’on disait des voix en 1816 se trouve encore vrai dix ans plus tard. (Note ajoutée en 1826.)