Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, III, 1927, éd. Martineau.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Arqua, 18 juin. — Je viens de passer quatre jours dans les monti Euganei, à Arqua, le séjour de Pétrarque, à la Bataille, lieu célèbre par ses bains. C’est aux eaux que se déploie tout le bonheur du caractère vénitien : j’y ai rencontré M. le comte Bragadin, l’un des hommes les plus aimables que j’aie jamais vus : rien d’appris, rien de pédantesque, rien de touché par le souffle desséchant de la vanité, dans cette amabilité folle des Vénitiens. C’est la saillie du bonheur et du bonheur malgré les circonstances ordinaires de la vie. Par exemple, le comte Bragadin, d’une des quatre familles les plus nobles de l’Europe, n’a pas remis les pieds à Venise depuis la chute de sa patrie. Se figure-t-on un de ces voltigeurs toujours grogneurs, souvent méchants, les portraits de la fatuité vieillie ? On est aux antipodes de la manière d’être de l’aimable Vénitien.

Les Vénitiens et les Milanais se détestent autant que des gens très-gais et des gens très-bons peuvent détester. Ces haines générales et réciproques sont le trait marquant des villes d’Italie, la suite des tyrannies du moyen âge, et le grand