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souper tous les soirs, à trois heures du matin, chez l’excellent restaurateur Pedrocchi. Le temps coule pour moi ; je vis doucement avec vingt ou trente amis intimes, dont la figure ne m’était pas connue il y a huit jours. Le soir, je vais dans la loge de Pacchiarotti parler des beaux jours de la musique ; il me raconte qu’à Milan on lui faisait répéter jusqu’à cinq fois le même morceau. Il a encore tout le feu de la jeunesse : on voit que l’amour a passé par là ; et comme on sait, c’est un castrat ; il a eu la recherche d’apporter ici les plus beaux meubles de Londres. Il a, dans son jardin anglais, au milieu de la ville, entre Sainte-Justine et le Santo, la tour où le cardinal Bembo passa les plus belles années de sa vie à écrire son histoire sur les genoux de sa maîtresse. Cette âme qui pétille dans tous les traits de Pacchiarotti, et qui, à son âge, de soixante-dix ans, le rend encore sublime quand il veut se donner la peine de chanter un récitatif, écorne un peu la théorie. J’ai plus appris de musique en six conversations avec ce grand artiste, que par tous les livres : c’est l’âme qui parle à l’âme.