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5 juin, minuit. — Je viens de rire aux larmes pendant deux heures. L’actrice la plus séduisante que j’aie vue depuis mademoiselle Mars, chantait la Contessa di colle ombroso, opéra charmant de Generali. Quelle physionomie ! quel jeu ! quels yeux ! Quelle soirée pour qui a connu l’amour ! Je n’oublierai pas Caterina Liparini. Dès qu’elle quittait la scène, je me trouvais dans les idées les plus élevées du beau idéal, confirmant ou détruisant les principes par ce charmant exemple. Le Guide disait qu’il avait cent manières de faire regarder le ciel par une belle femme. J’ai vu ce soir l’amour, le dépit, la jalousie, le bonheur d’aimer, exprimés aussi de cent façons différentes.

Un tel feu d’artifice du sentiment le plus vif et de la gaieté la plus folle doit bientôt s’éteindre. La Liparini est une belle blonde aux traits délicats : il faut qu’elle soit laide ou froide d’ici à trois ans. Quelle folie, quelle excellente scène de comédie que le terzetto de la Didone abandonata, qu’elle prend l’idée de faire chanter à ses deux amants sur un mot de dépit que lui dit l’un d’eux, et qui est dans la Didon ! Voilà la folie de la jeunesse ; voilà ce qui manque à la comédie française.