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Si Michel-Ange a inventé le tarocco, il a trouvé là un beau sujet de disputes pour les Milanais, et de scandale pour les petits-maîtres français. J’en ai rencontré un ce soir qui trouvait les Italiens bien lâches de ne pas mettre l’épée à la main vingt fois pour une partie de tarocco. En effet, les Milanais, ayant le malheur de manquer tout à fait de vanité, ils poussent à l’excès le feu et la franchise de leurs disputes au jeu. En d’autres termes, ils trouvent au jeu de tarocco les émotions les plus vives. Ce soir, il y a eu un moment où j’ai cru que les quatre joueurs allaient se prendre aux cheveux ; la partie a été interrompue au moins dix minutes. Le parterre impatienté criait zitti ! zitti ! et la loge n’étant qu’au second rang, le spectacle était en quelque sorte interrompu. Va a farti buzzarare ! criait l’un des joueurs. — Ti le sei un gran cojononon ! répondait l’autre en faisant des yeux furibonds et criant à tue-tête. L’accent donné à ce mot cojononon m’a semblé incroyable de bouffonnerie et de vérité. L’accès de colère paraît excessif et laisse toutefois si peu de traces, que j’ai remarqué qu’en quittant la loge il n’est venu à l’idée d’aucun des disputeurs d’adresser à l’autre un mot d’amitié. À vrai dire, la colère italienne est, je crois, silencieuse et retenue, et ceci n’est rien