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éteint l’amitié ; en revanche, l’amour y est délicieux ; ailleurs, on n’en a que la copie.

Je sors d’une loge où l’on m’a présenté à une femme grande et bien faite, qui m’a semblé avoir trente-deux ans. Elle est encore belle, et de ce genre de beauté que l’on ne trouve jamais au nord des Alpes. Ce qui l’entoure annonce l’opulence, et je trouve dans ses manières une mélancolie marquée. Au sortir de la loge, l’ami qui m’a présenté me dit : « Il faut que je vous conte une histoire. »

Rien de plus rare que de trouver ici, dans le tête-à-tête, un Italien d’humeur à conter. Ils ne se donnent cette peine qu’en présence de quelque femme de leurs amies, ou du moins quand ils sont bien établis dans une excellente poltrona (bergère) J’abrège le récit de mon nouvel ami, rempli de circonstances pittoresques, souvent exprimées par gestes.

« Il y a seize ans qu’un homme fort riche, Zilietti, banquier de Milan, arriva un soir à Brescia. Il va au théâtre ; il voit dans une loge une très-jeune femme, d’une figure frappante. Zilietti avait quarante ans ; il venait de gagner des millions ; vous l’auriez cru tout adonné à l’argent. Il était à Brescia pour une affaire importante qui exigeait un prompt retour à Milan. Il oublie son affaire. Il parvient à