Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, I, 1927, éd. Martineau.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

madame Filicori, des anecdotes de vengeance. J’ai été frappé du récit suivant, qui ne se trouve que dans un livre peu lu ; rien n’est plus vrai.

« En Piémont, le hasard m’a fait l’involontaire témoin d’un fait singulier ; mais alors j’ignorais les détails. Je fus envoyé avec vingt-cinq dragons (c’est le capitaine Boroni qui parle) dans les bois le long de la Sesia, pour empêcher la contrebande ; en arrivant le soir dans ce lieu sauvage et désert, j’aperçus entre les arbres les ruines d’un vieux château ; j’y allai ; à mon grand étonnement, il était habité. J’y trouvai un noble du pays, à figure sinistre ; un homme qui avait six pieds de haut et quarante ans ; il me donna deux chambres en rechignant. J’y faisais de la musique avec mon maréchal-des-logis : après plusieurs jours nous découvrîmes que notre homme gardait une femme que nous appelions Camille en riant ; nous étions loin de soupçonner l’affreuse vérité. Elle mourut au bout de six semaines. J’eus la triste curiosité de la voir dans son cercueil ; je payai un moine qui la gardait, et vers minuit, sous prétexte de jeter de l’eau bénite, il m’introduisit dans la chapelle. J’y trouvai une de ces figures superbes, qui sont belles même dans le sein de la mort : elle avait un grand nez aquilin