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« Le comte Radichi, mon oncle, était le plus doux des hommes. Un jour à Bergame, c’est mon pays, un sbire le regarde avec attention, comme il passait. « Dieu ! que cet homme est laid ! » dit mon oncle. Dès le lendemain, au casin des nobles, il s’aperçut que ses amis avaient avec lui un ton singulier et un peu sostenuto. Enfin, trois jours après, l’un d’eux lui dit : « Et le sbire ? Quand finis-tu cette affaire ? — Quelle affaire ? — Diable ! reprend l’ami d’un air sévère, est-ce que ça en restera là ? — Quoi, ça ? — Le regard insolent qu’il t’a lancé. — Qui ? ce sbire de l’autre jour ? — Certainement. — Je n’y pense plus. — Nous y pensons pour toi. »

« Enfin le plus doux des hommes fut obligé de marcher pendant trois jours avec un fusil à deux coups, chargé à balles. Le troisième jour, il rencontre enfin dans la rue ce sbire qui l’avait regardé d’une manière inconvenante et l’étend roide mort à ses pieds, de deux coups de fusil. Cela eut lieu vers 1770. Mon oncle alla passer six semaines en Suisse, et puis revint tranquillement à Bergame. Comme c’était un homme doux et humain, il fit du bien à la famille du sbire ; mais en grand secret. Il eût été déshonoré et chassé du casin des nobles, si l’on eût pu penser qu’il redou-