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réussi à souhait. Plusieurs personnes ont voulu entendre ces anecdotes de la bouche même du prétendu témoin oculaire. L’Italien ne comprend jamais avec trop de clarté la chose qui l’intéresse, c’est que son esprit est peu exercé à la rapidité et que son âme prend plaisir à être émue en même temps que son oreille écoute. À Bologne, et surtout à Milan, on entend avec plaisir cinq ou six fois le même récit et, s’il manque son effet à la première, c’est toujours qu’en cherchant le piquant, un Français manque la clarté.

Après les anecdotes tragiques sur Napoléon et le maréchal Ney, celle qui a eu le plus de succès, c’est le valet de cœur de M. le comte de Coigny[1]. C’est que cela semble

  1. Je demande pardon d’imprimer une anecdote si connue et que M. de Bouffiers contait si bien.

    On jouait beaucoup, avant la Révolution, chez madame la duchesse de Polignac ; cette maison était le centre du beau monde. Le comte de Coigny y venait souvent, et un peu, à ce que pensaient quelques personnes, parce que madame de la Suze, jeune femme mariée depuis peu, s’y trouvait tous les soirs. Le comte se plaignait un jour du malheur qu’il avait de dormir la bouche ouverte, ce qui le réveillait trois ou quatre fois par nuit, et de la manière la plus désagréable. Un médecin allemand, qui amusait cette noble société, lui dit : « Je vais vous guérir, monsieur le comte, et avec une carte à jouer ; vous la roulerez, vous la placerez comme un tuyau de pipe dans le coin de la bouche, entre les lèvres, avant de vous livrer au sommeil. » Le soir, quand le jeu fut terminé, M. de Coigny, faisant des contes et jouant avec les cartes, madame de Polignac lui dit : Tenez, comte, prenez ce valet de cœur qui vous guérira cette nuit. » Le lendemain, à la même heure, après la fin du jeu, et la même