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le pays pour toujours, lorsque enfin j’eus la joie surhumaine de la voir paraître. Elle était en chemise, nu-pieds, ses cheveux dénoués, et mille fois plus belle que je ne me l’étais imaginé ; elle alla d’abord près du lit de son père, pour s’assurer qu’il dormait. Comme elle s’y arrêtait beaucoup, je hasardai de frapper encore. Chaque coup, quelque faible qu’il fût, me retentissait dans le cœur. Il me semblait que j’allais tomber évanoui. Je vis enfin ma Lauretta s’approcher de la porte ; elle mit sa bouche tout contre l’ouverture de la serrure, et me dit bien bas : « Imprudent ! va-t’en. — Comment veux-tu que je m’en aille ? il m’est impossible de sortir ; refuseras-tu de me parler ? Il y a plus de trois semaines que je n’ai pu te dire un mot. Je ne te demande qu’un quart d’heure de conversation dans l’antichambre, ou dans ta chambre à coucher. » Il me fallut bien une demi-heure pour la persuader. Enfin elle se décida à aller prendre la clef sous le chevet de son père. Je lui dis : « Si le prince se réveille, il te tuera. — Peut-être que non », répondit-elle en s’éloignant.

« Elle revint avec la clef ; mais la porte était fermée à double tour, et la serrure antique et rouillée. Je crus mourir en entendant le bruit de la clef à chaque tour.