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d’être un peu espion, on ne dit pas certaines choses devant lui. Poverino è impiegato ! dit-on en serrant les épaules, geste de commisération qui m’était inconnu.

À Paris, il faut presque, à chaque fois que l’on se présente chez un ami intime, rompre une légère superficie de glace qui s’est formée depuis quatre ou cinq jours que l’on ne s’est pas rencontré ; et quand cette opération délicate est heureusement terminée et que vous êtes redevenus tout à fait intimes et contents, au plus beau de votre amitié, minuit sonne, et la maîtresse de la maison vous renvoie. Ici, dans les soirées où l’on était heureux et gai, dans la loge de madame L***, nous commencions par rester au théâtre jusque après une heure du matin ; nous continuions notre pharaon dans la loge éclairée, longtemps après que toute la salle était obscure et les spectateurs sortis. Enfin, le portier du théâtre venant nous avertir qu’une heure était sonnée depuis longtemps ; uniquement pour ne pas se séparer, on allait souper chez Battistino, le traiteur du théâtre, établi à cet effet, et nous ne nous quittions qu’au grand jour. Je n’étais point amoureux, je n’avais point d’amis bien intimes dans cette loge, et pourtant ces soirées de naïveté et de bonheur ne sortiront jamais de ma mémoire.