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Les jeunes filles sont gardées ici avec une sévérité espagnole. Quand la mère sort, elle se fait remplacer par quelque vieille parente fort alerte, et qui remplit le rôle de duègne. On dit que plusieurs jeunes filles ont de petits amoureux qu’elles ne voient que quand ils passent dans la rue ; on se fait quelques signes, on s’aperçoit à l’église, le dimanche ; on danse ensemble deux ou trois fois tout au plus chaque année. Mais souvent une intrigue aussi simple est accompagnée des sentiments les plus profonds. Je n’oublierai jamais les réflexions que j’ai entendu faire par une jeune fille de quatorze ans, à une représentation de la Vestale (le sublime ballet de Vigano). Il y avait une sagacité et une profondeur de pensée vraiment effrayantes.

Les idées qu’une jeune fille italienne peut se former sur sa vie à venir sont fondées sur des confidences qu’elle a surprises, sur les faits qu’elle a ouï conter, sur des mouvements de joie ou de tristesse qu’elle a observés, jamais sur des bavardages de livres. On ne lit pas de romans, par l’excellente raison qu’il n’y en a point. Je connais une lourde copie de Werther, intitulée Lettres de Jacopo Ortis, et deux ou trois ouvrages illisibles de l’abbate Chiari. Quant à nos romans français, traduits en italien, ils font l’effet d’une diatribe contre l’amour.