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pour un patricien riche ; mais Vitelleschi ayant tué l’arrière cousin d’un Bragadin (noble vénitien des grandes familles), il fut arrêté et jeté, à Venise, dans la fameuse prison à côté du ponte dei Sospiri. Vitelleschi était fort bel homme et très éloquent. Il essaya de séduire la femme du geôlier, qui s’en aperçut. Le geôlier lui fit je ne sais quel tour de son métier, il le chargea de fer, par exemple. Vitelleschi prit de là occasion de lui parler, et enfin dans les fers, au secret, sans argent, il séduisit le geôlier, qui chaque jour trouvait du plaisir à venir passer deux heures avec son prisonnier. « Ce qui me tourmente, disait Vitelleschi au geôlier, c’est que je suis comme vous, j’ai de l’honneur. Pendant que je suis ici à pourrir dans les fers, mon ennemi se pavane à Brescia. Ah ! si je pouvais seulement le tuer et puis mourir ! » Ces beaux sentiments touchent le geôlier, qui lui dit : « Je vous donne votre liberté pendant cent heures. » Le comte lui saute au cou ; il sort de la prison un vendredi soir ; une gondole le passe à Mestre ; une sédiole l’attendait avec des relais. Il arrive à Brescia le dimanche à trois heures après midi, et prend poste à la porte de l’église. Son ennemi sort après vêpres, il le tue, au milieu de la foule, d’un coup de carabine. Personne n’a l’idée d’ar-