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cent fois plus de talent que de fameux peintres à l’huile.

Je n’ai garde de manquer aux soirées que cette personne aimable donne les vendredis, le seul jour de la semaine où il n’y ait pas spectacle à la Scala. Vers les une heure, quand nous ne sommes plus que huit ou dix, il se trouve toujours quelqu’un qui raconte des anecdotes fort gaies sur les mœurs de Venise vers 1790. Venise fut probablement, de 1740 à 1796, la ville la plus heureuse du monde et la plus exempte des bêtises féodales ou superstitieuses qui attristent encore aujourd’hui le reste de l’Europe et l’Amérique du Nord. Venise était le contraire de Londres ; surtout la sottise, nommée importance, y était aussi inconnue hors des cérémonies politiques que la gaieté à la Trappe. Les anecdotes vénitiennes que la Nina nous a contées hier feraient un volume. Visite de madame Bensoni au patriarche, pour sauver un malheureux qu’on devait mener au supplice le lendemain, et qui y alla en effet, mais sur le passage duquel le patriarche ne manqua pas de se trouver. Un étranger un peu fat dit devant M. R*** : « Ma foi, je pars content, j’ai eu la plus jolie femme de Venise. » Le lendemain, M. R***, suivi d’un laquais portant une énorme caisse de pistolets, va demander