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— Le rôle est plus brillant, et d’ailleurs convient à qui n’a rien à solliciter. »

Cette histoire n’est pas grand’chose, mais j’ai voulu la noter parce qu’elle est exactement vraie. Philibert a fait des folies, mais au fond a suivi mes conseils. Seulement, la première année, il a mangé soixante mille francs, mais il en est si honteux que je pense que, celle-ci, il n’arrive pas à deux mille francs de dépense par mois.

De lui-même, il s’est mis à réapprendre le latin et les mathématiques ; il prétend naviguer un jour sur un navire à lui appartenant, revoir l’Amérique, voir les Indes. En un mot, malgré la fortune imprévue, il peut devenir un homme fort distingué et fera une bonne mine en lisant ceci.

Je lui ai donné quelques petits conseils de détail qui ont réussi. Il loge dans une des rues les plus reculées du faubourg Saint-Germain et est fort estimé des portiers de son quartier. Il dépense cinquante louis en aumônes ; il n’a que trois chevaux, mais il est allé lui-même les chercher en Angleterre. Il n’est abonné à aucun cabinet littéraire et ne lit jamais un livre, s’il ne lui appartient et n’est richement relié. Il n’a que deux domestiques, auxquels il ne parle jamais, mais leurs gages augmentent d’un quart tous les ans. On l’a déjà fait sonder trois ou quatre fois pour des mariages, sur quoi je lui ai déclaré que, s’il se mariait avant trente-six ans, il perdrait ma protection. J’espère toujours qu’il fera quelque sottise, j’ai peur de m’attacher à lui. Il est fort beau et fort silencieux. D’après mes avis, il est toujours vêtu de noir, comme s’il était en deuil. J’ai dit sous le secret qu’il ne se consolait pas de la mort d’une dame du Bâton-Rouge, près la Nouvelle-Orléans. Il voudrait bien ne plus avoir sa maîtresse de l’Opéra, mais je crains les passions, et je l’oblige à la garder.

Où il est bien plaisant, c’est dans une terre que je lui ai fait acheter à quatre lieues de Compiègne, sur la lisière de la