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amoureux d’une seconde chanteuse qui me semble une coquine fieffée, très-propre à porter son amant à faire des dettes, puis des faux, et plus tard même quelque joli petit crime conduisant droit en cour d’assises ; ce que je dis au père.

M. Lescale fit appeler Philibert, qu’il n’avait pas vu depuis deux mois.

« Si tu veux quitter Paris et aller à la Nouvelle-Orléans, lui dit-il, je te donne quinze mille francs, mais payables à bord, où tu seras subrécargue. »

Le jeune homme partit, et l’on s’arrangea pour que de son plein gré son séjour en Amérique durât plus que sa zone de passion.

Il fut rappelé par la nouvelle de la mort de ce pauvre Lescale, qui se donnait soixante-cinq ans et en avait soixante-dix-neuf. Par son testament, il reconnaît son fils et lui laisse quarante mille livres de rentes ; de plus, lorsqu’il aura vendu toutes les propriétés et qu’il sera complétement ruiné, un des amis de Lescale lui comptera deux cents francs tous les premiers du mois, et trois cents francs s’il est en prison pour dettes.

Philibert vint me voir, il avait l’air fort touché, et comme il demandait conseil sérieusement, je lui dis : « Restez à Paris, à la bonne heure ; mais c’est à condition que vous vous mettrez dans l’opposition légitimiste et que vous direz toujours du mal du gouvernement, quel qu’il soit. Prenez sous votre protection une demoiselle de l’Opéra et tâchez de ne vous ruiner qu’à moitié ; si vous faites tout cela, je continuerai à vous voir, et dans huit ans, quand vous en aurez trente-deux, vous serez sage.

— Je le suis dès aujourd’hui, du moins en un sens, me répondit-il. Je vous donne ma parole d’honneur de ne jamais dépenser plus de quarante mille francs par an. Mais pourquoi me mettre dans l’opposition ?