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manque de sincérité, pensa le jeune Français ; elle ne se tient dans cette pièce que quand elle m’attend.

Le chevalier lui prit la main ; elle frémit. Ses yeux se remplirent de larmes : elle sembla si jolie au chevalier, qu’il eut un instant d’amour. Elle, de son côté, oublia tous les sermens que pendant deux jours elle avait faits à la religion ; elle se jeta dans ses bras : « Et voilà le bonheur dont désormais l’Orsini jouira !... » Sénecé, comprenant mal, comme à l’ordinaire, une âme romaine, crut qu’elle voulait se séparer de lui avec bonne amitié, rompre avec des formes. « Il ne me convient pas, attaché que je suis à l’ambassade du roi, d’avoir pour ennemie mortelle (car telle elle serait) la nièce du souverain auprès duquel je suis accrédité. » Tout fier de l’heureux résultat auquel il croyait arriver, Sénecé se mit à parler raison. — Ils vivraient dans l’union la plus agréable ; pourquoi ne seraient-ils pas très heureux ? Qu’avait-on, dans le fait, à lui reprocher ? L’amour ferait place à une bonne et tendre amitié. Il réclamerait instamment le privilège de revenir de temps à autre dans le lieu où ils se trouvaient ; leurs rapports auraient toujours de la douceur...

D’abord la princesse ne le comprit pas. Quand, avec horreur, elle l’eut compris, elle resta debout, immobile, les yeux fixes. Enfin, à ce dernier trait de la douceur de leurs rapports, elle l’interrompit d’une voix qui semblait sortir du fond de sa poitrine et en prononçant lentement :

— C’est-à-dire que vous me trouvez, après tout, assez jolie pour être une fille employée à votre service !

— Mais, chère et bonne amie, l’amour-propre n’est-il pas sauf ? répliqua Sénecé, à son tour vraiment étonné. Comment pourrait-il vous passer par la tête de vous plaindre ? Heureusement jamais notre intelligence n’a été soupçonnée de personne. Je suis homme d’honneur ; je vous donne de nouveau