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prenait elle-même en horreur et en dégoût. Tout lui semblait adorable, supérieur chez sa rivale.

Immobile et sombre, la Campobasso était comme une statue de basalte au milieu de cette foule gesticulante et bruyante. On entrait, on sortait ; tout ce bruit importunait, offensait la Campobasso. Mais que devint-elle quand tout à coup elle entendit annoncer M. de Sénecé ! Il avait été convenu, au commencement de leurs relations, qu’il lui parlerait fort peu dans le monde, et comme il sied à un diplomate étranger qui ne rencontre que deux ou trois fois par mois la nièce du souverain auprès duquel il est accrédité.

Sénecé la salua avec le respect et le sérieux accoutumés ; puis, revenant à la comtesse Orsini, il reprit le ton de gaieté presque intime que l’on a avec une femme d’esprit qui vous reçoit bien et que l’on voit tous les jours. La Campobasso était atterrée. « La comtesse me montre ce que j’aurais dû être, se disait-elle. Voilà ce qu’il faut être, et que pourtant je ne serai jamais ! » Elle sortit dans le dernier degré de malheur où puisse être jetée une créature humaine, presque résolue à prendre du poison. Tous les plaisirs que l’amour de Sénecé lui avait donnés n’auraient pu égaler l’excès de douleur où elle fut plongée pendant toute une longue nuit. On dirait que ces âmes romaines ont des trésors d’énergie inconnus aux autres femmes pour souffrir.

Le lendemain, Sénecé repassa et vit le signe négatif ; il s’en alla gaiement ; cependant il fut piqué. « C’est donc mon congé qu’elle m’a donné l’autre jour ? Il faut que je la voie dans les larmes, » dit sa vanité. Il éprouvait une légère nuance d’amour en perdant à tout jamais une aussi belle femme, nièce du pape. Il s’engagea dans les souterrains peu propres qui lui déplaisaient si fort, et vînt forcer la porte de la grande salle au rez-de-chaussée où la princesse le recevait.

— Comment ! vous osez paraître ici ! dit la princesse étonnée.

— Cet étonnement