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tard que, tandis qu’il essayait de la prendre dans ses bras, il l’avait entendue se parler à elle-même. Il se retira un peu : discrétion inutile, car elle semblait ne le plus voir. D’une voix basse et concentrée, elle se disait, comme si elle eût été à cent lieues de lui : « Il m’insulte, il me brave. Sans doute, à son âge et avec l’indiscrétion naturelle à son pays, il va raconter à l’Orsini toutes les indignités auxquelles je m’abaisse... Je ne suis pas sûre de moi ; je ne puis me répondre même de rester insensible devant cette tête charmante... » Ici il y eut un nouveau silence qui sembla fort ennuyeux au chevalier. La princesse se leva enfin en répétant d’un ton plus sombre : Il faut en finir.

Sénecé, à qui la réconciliation avait fait perdre l’idée d’une explication sérieuse, lui adressa deux ou trois mots plaisans sur une aventure dont on parlait beaucoup à Rome...

— Laissez-moi, chevalier, lui dit la princesse l’interrompant ; je ne me sens pas bien...

« Celle femme s’ennuie, se dit Sénecé en se hâtant d’obéir, et rien de contagieux comme l’ennui. » La princesse l’avait suivi des yeux jusqu’au bout de la salle... « Et j’allais décider à l’étourdie du sort de ma vie ! dit-elle avec un sourire amer. Heureusement, ses plaisanteries déplacées m’ont réveillée. Quelle sottise chez cet homme ! Comment puis-je aimer un être qui me comprend si peu ? Il veut m’amuser par un mot plaisant, quand il s’agit de ma vie et de la sienne !... Ah ! je reconnais bien là cette disposition sinistre et sombre qui fait mon malheur ! » Et elle se leva de son fauteuil avec fureur. « Comme ses yeux étaient jolis quand il m’a dit ce mot !... Et, il faut l’avouer, l’intention du pauvre chevalier était aimable. Il a connu le malheur de mon caractère ; il voulait me faire oublier le sombre chagrin qui m’agitait, au lieu de m’en demander la cause. Aimable Français ! Au fait, ai-je connu le bonheur avant de l’aimer ? »