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en France, pas même pour l’homme de génie, s’il en est. La guerre est déclarée entre les hommes de la classe de Sénecé et le reste de la nation. Rome aussi était bien différente alors de ce qu’on la voit aujourd’hui. On ne s’y doutait guère, en 1726, de ce qui devait y arriver soixante-sept ans plus tard, quand le peuple, payé par quelques curés, égorgeait le jacobin Basseville, qui voulait, disait-il, civiliser la capitale du monde chrétien.

Pour la première fois, auprès de Sénecé la Campobasso avait perdu la raison, s’était trouvée dans le ciel ou horriblement malheureuse pour des choses non approuvées par le bon sens. Dans ce caractère sévère et sincère, une fois que Sénecé eut vaincu la religion, qui pour elle était bien plus, bien autre chose que la raison, cet amour devait s’élever rapidement jusqu’à la passion la plus effrénée.

La princesse avait distingué monsignor Ferraterra, dont elle avait entrepris la fortune. Que devint-elle quand Ferraterra lui annonça que non-seulement Sénecé allait plus souvent que de coutume chez l’Orsini, mais encore était cause que la comtesse venait de renvoyer un castrat célèbre, son amant en titre depuis plusieurs semaines !

Notre histoire commence le soir du jour où la Campobasso avait reçu cette annonce fatale.

Elle était immobile dans un immense fauteuil de cuir doré. Posées auprès d’elle sur une petite table de marbre noir, deux grandes lampes d’argent au long pied, chefs-d’œuvre du célèbre Benvenuto Cellini, éclairaient ou plutôt montraient les ténèbres d’une immense salle au rez-de-chaussée de son palais, ornée de tableaux noircis par le temps ; car déjà, à cette époque, le règne des grands peintres datait de loin.

Vis-à-vis de la princesse et presque à ses pieds, sur une petite chaise de bois d’ébène garnie d’ornemens d’or massif, le jeune Sénecé venait d’étaler sa personne élégante. La princesse le regardait,