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des transports les plus violens. Sans être ennemies déclarées, quoique se rencontrant tous les jours chez le pape et se voyant souvent chez elles, ces dames étaient rivales en tout : beauté, crédit, richesses.

La comtesse Orsini, moins jolie, mais brillante, légère, agissante, intrigante, avait des amans dont elle ne s’occupait guère, et qui ne régnaient qu’un jour. Son bonheur était de voir deux cents personnes dans ses salons et d’y paraître en reine. Elle se moquait fort de sa cousine, la Campobasso, qui, après avoir eu la constance de se faire voir partout, trois ans de suite, avec un duc espagnol, avait fini par lui faire dire de quitter Rome dans les vingt-quatre heures, et ce sous peine de mort. « Depuis cette grande expédition, disait l’Orsini, ma sublime cousine n’a plus souri, voici quelques mois qu’il est évident que la pauvre femme meurt d’ennui ou d’amour, et son mari, qui est adroit, fait passer cet ennui aux yeux du pape, notre oncle, pour de la haute piété. Un de ces jours, cette piété la conduira à entreprendre un pèlerinage en Espagne. »

La Campobasso était bien éloignée de regretter son duc espagnol, qui pendant son règne l’avait mortellement ennuyée. Si elle l’eût regretté, elle l’eût envoyé chercher, car c’était un de ces caractères naturels et naïfs dans l’indifférence comme dans la passion, qu’il n’est pas rare de rencontrer à Rome. D’une dévotion exaltée, quoique à peine âgée de vingt-trois ans et dans toute la fleur de la beauté, il lui arrivait de se jeter aux genoux de son oncle en le suppliant de lui donner la bénédiction papale, qui, comme on ne le sait pas assez, à l’exception de deux ou trois péchés atroces, absout tous les autres, même sans confession. Le bon Benoît XIII pleurait de tendresse. « Lève-toi, ma nièce, lui disait-il, tu n’as pas besoin de ma bénédiction, tu vaux mieux que moi aux yeux du Seigneur. »