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que les amoureux découvrent de singulières perfections chez la personne qu’ils aiment. Les trésors d’esprit et de délicatesse qu’il découvrait chez Mina lui persuadaient qu’il était réellement amoureux. « Est-il possible que ce soit une simple illusion ? » se disait-il chaque jour, et il comparait ce que Mina lui avait dit la veille à ce que lui disaient les femmes de la société qu’il rencontrait à la Redoute. De son côté, Mina sentait qu’elle avait été sur le point de perdre Alfred. Que serait-elle devenue, s’il eût continué de passer ses soirées à la Redoute ? Loin de chercher à jouer encore le rôle d’une jeune fille du commun, elle n’avait de sa vie tant songé à plaire. « Faut-il avouer à Alfred qui je suis ? se disait Mina. Sa haute raison blâmera une folie même faite pour lui. D’ailleurs, ajoutait Mina en soupirant, il faut que mon sort se décide ici. Si je lui nomme Mme de Wangel, dont la terre est à quelques lieues de la sienne, il aura la certitude de me retrouver à Paris. Il faut, au contraire, que la perspective de ne me revoir jamais le décide aux démarches étranges qui sont, hélas ! nécessaires pour notre bonheur. Comment cet homme si sage se décidera-t-il à changer de religion, à se séparer de sa femme par le divorce, et à venir vivre comme mon mari dans mes belles terres de la Prusse orientale ? » Ce grand mot illégitime devenait pas se placer comme une barrière insurmontable devant les nouveaux projets de Mina ; elle croyait ne pas s’écarter de la vertu, parce qu’elle n’eût pas hésité à sacrifier mille fois sa vie pour Alfred.

Peu à peu Mme de Larçay devint décidément jalouse d’Aniken. Le singulier changement de la figure de cette fille ne lui avait point échappé ; elle l’attribuait à une extrême coquetterie. Mme de Larçay eût pu obtenir son renvoi de haute lutte. Ses amies lui représentèrent qu’il ne fallait pas donner de l’importance à une fantaisie : il fallait, seulement é