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gauche et si timide, avait des façons fort inégales, des idées justes et fines qui valaient la peine d’être écoutées. Mina, voyant dans ses yeux qu’il l’écoutait, se permit quelques réponses délicates et justes, surtout quand elle avait l’espoir de n’être pas entendue ou de n’être pas comprise par Mme de Larçay.

Si, durant les deux premiers mois que Mlle de Wangel passa à Aix, un philosophe lui eût demandé quel était son but, l’enfantillage de la réponse l’eût étonné, et le philosophe eût soupçonné un peu d’hypocrisie. Voir et entendre à chaque instant l’homme dont elle était folle était l’unique but de sa vie : elle ne désirait pas autre chose, elle avait trop de bonheur pour songer à l’avenir. Si le philosophe lui eût dit que cet amour pouvait cesser d’être aussi pur, il l’eût irritée encore plus qu’étonnée. Mina étudiait avec délices le caractère de l’homme qu’elle adorait. C’était surtout comme contraste avec la haute société dans laquelle la fortune et le rang de son père, membre de la chambre haute, l’avaient placé, que brillait le caractère du tranquille Larçay. S’il eût vécu parmi des bourgeois, la simplicité de ses manières, son horreur pour l’affectation et les grands airs, l’eussent peint à leurs yeux comme un homme d’une médiocrité achevée. Alfred ne cherchait jamais à dire des choses piquantes. Cette habitude était ce qui, le premier jour, avait le plus contribué à faire naître l’extrême attention de Mina. Voyant les Français à travers les préjugés de son pays, il lui semblait que leur conversation avait toujours l’air de la fin d’un couplet de vaudeville. Alfred avait vu assez de gens distingués en sa vie pour pouvoir faire de l’esprit avec sa mémoire ; mais il se serait gardé comme d’une bassesse de dire des mots de pur agrément qu’il n’eût pas inventés dans le moment, et que quelqu’un des auditeurs eût pu savoir comme lui.

Chaque soir, Alfred conduisait sa femme à la Redoute, et